Mesnie des chevaliers Saint-Georges Saint-Michel
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Histoires de dragons

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Message  Roland Brisemasse Mar 13 Jan - 2:40

J'ai une option, cette année, qui s'appelle "Animaux familiers et fabulleux au Moyen-Âge". Notre prof nous a envoyé le contenu du dernier cours par mail, et je me dis que ça peut en intéresser plus d'un, vu l'emblème de notre Mesnie !


Un monstre utile : le dragon

I) Monstres de feu pour héros bien trempés

A) La somme de toutes les peurs

Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, le dragon du Moyen Age et de la Renaissance se distingue d’abord par son caractère hybride. Il ressortit de l’oiseau, du mammifère, du poisson, et bien sûr du reptile. Il n’est pas rare de le voir figuré avec une tête de chien. Cet aspect composite, véritable défi à l’imagination, le place d’emblée dans la catégorie des monstres et prodiges.
Son origine est très ancienne : il apparaît en Chine dès 4000 avant J.-C. Par le biais des religions sumérienne, puis perse, il a été adopté dans la Bible, source principale de sa connaissance en Occident médiéval, même si les croisés de retour dans leur patrie avec des dépouilles de crocodiles entretiennent la rêverie. Le mot, quant à lui, vient du grec drakôn, apparenté au verbe derkomai, traduisible par « regarder avec intensité ». Car à la base, comme le confirme la Bible, le dragon est un serpent.
Seulement, son hybridité lui permet de se mouvoir sur tous les terrains et de maîtriser les quatre éléments, ce qui le rend redoutable. Il habite de préférence une caverne, où l’on retrouve des ossements (voir le tableau de Paolo Uccello, Saint Georges terrassant le dragon, vers 1440). Sa capacité à cracher du feu en fait une incarnation du Mal, un monstre sorti de l’enfer, à l’image du Léviathan. Il est toutefois rarement représenté en cracheur de flammes. Il peut également résider dans un lac ou un fleuve et provoquer des inondations, ce qu’attestent les chroniques suisses de la fin du XVe siècle.
Enfin, le dragon occidental a ceci d’original qu’il vole. Il possède donc des ailes, à l’instar de Satan en personne, qui ne deviennent définitivement membraneuses, comme celles de la chauve-souris, qu’au XVe siècle, achevant de lui donner un aspect nocturne.
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Message  Roland Brisemasse Mar 13 Jan - 2:43

B) Le faire-valoir du héros civilisateur

En Occident, le dragon incarne les forces hostiles de la nature dont triomphe le héros, marquant la fin de l’hiver et le renouveau de la nature. L’hagiographie n’a souvent fait qu’accommoder les mythes anciens : sainte Marthe domestique la Tarasque, qui écumait les rives du Rhône et le fait sombrer dedans (d’où le toponyme Tarascon). Plus précisément, le dragon est symbole du chaos qui existait avant l’avènement du christianisme. De l’Antiquité, il a conservé son caractère chthonien : il est associé à un territoire (sauvage : montagne ou grotte). Ses traits d’agent du Mal s’accusent au Moyen Age, dans la foulée de l’opprobre sur les reptiles causé par le serpent tentateur de la Genèse. Il possède une langue fourchue, double comme le langage. Sa propension au camouflage, sa démarche rampante en font un monstre surgi de nulle part, toujours prêt à nuire.
Le livre de l’Apocalypse fournit un modèle de combat victorieux contre le dragon, celui de saint Michel, qui établit la supériorité du Bien sur le Mal. La Légende dorée et les récits antérieurs du même genre offrent de nombreux avatars de cet affrontement. Voici quelques exemples. Sainte Marguerite est jetée en prison parce qu’elle refuse de renier sa foi. Comme elle demande à Dieu de lui montrer son ennemi, un dragon surgit bientôt dans sa geôle pour la distraire de ses prières. Il l’avale tout entière, mais la sainte lui perce l’abdomen avec un crucifix. Ainsi l’héroïne sort-elle victorieuse de ses conflits personnels. Il en va de même pour saint Antoine, assailli au désert par toutes sortes de tentations, dont quelques-unes prennent dans l’iconographie chrétienne l’aspect du dragon. Le dragon a aussi un sens extérieur au saint : il est le symbole du paganisme. Nombreux sont les évêques évangélisateurs amenés à lutter contre un dragon. Saint Clément, premier évêque de la ville de Metz, délivre les habitants du Graouilly, niché dans l’amphithéâtre, à condition que ceux-ci se convertissent. L’usage d’une croix et le pouvoir de l’eau bénite suffisent à assagir l’animal. Ses cousins abondent au sein du monde chrétien (la Gargouille à Rouen, la Chair-Salée à Troyes, ou la Tarasque à Tarascon, respectivement vaincues par les saints Romain, Loup et Marthe).
Le plus fameux saint sauroctone (tueur de dragon) reste néanmoins saint Georges. Dans une contrée de Libye, sur le rivage d’un lac, un dragon terrorise la population, de laquelle il exige un tribut animal, puis, le bétail venant à manquer, humain. Georges, officier dans l’armée romaine, vient à passer le jour où le sort désigne la fille du roi. Fort de sa foi et d’une longue lance, le cavalier affronte et blesse le monstre, qu’il achève en échange de la conversion de tous au christianisme. Ce parangon de l’idéal chevaleresque mérite de la sorte l’abondance iconographique dont il fera l’objet.
Ce modèle religieux bien établi est ensuite complété par l’idée du rite initiatique : le héros victorieux s’attribue les richesses ou les vertus du monstre qu’il vient de terrasser. Siegfried, figure centrale de la légende germanique des Nibelungen, s’approprie les pouvoirs de Fafnir en avalant accidentellement quelques gouttes de son sang, ce qui lui permet de comprendre le langage des animaux, qui l’incitent à se baigner dans le sang du monstre. Sa peau devient alors impénétrable ; seule une petite parcelle cachée par une feuille reste vulnérable, ce qui causera sa perte. Le dragon constitue l’épreuve pour accéder pleinement au statut de chevalier, et Lancelot, Tristan ou d’autres, la passent avec succès.
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Message  Roland Brisemasse Mar 13 Jan - 2:46

II) Le dragon apprivoisé

De fil en aiguille, la puissance du dragon devient protectrice et bénéfique quand elle est détournée. Tel est le sens de son effigie, présente sur les blasons, étendards, armes et cimiers. Il s’agit d’effaroucher l’ennemi. On parle en ce cas de fonction apotropaïque. Toujours en éveil, le dragon joue le rôle d’un gardien idéal et d’un geôlier implacable, mais valorisant.
Comme beaucoup d’animaux, il est porteur de sens. Sa présence est d’une grande banalité dans les prophéties, à commencer par la mère de toutes, incorporée vers 1138 par Geoffroi de Monmouth dans son Histoire des rois de Bretagne. Le roi Vortigern, dans ce passage, demande à Merlin pourquoi la tour qu’il a édifiée ne tient pas. C’est qu’elle se situe au-dessus d’un étang qui dissimule deux dragons dans des cavernes. Ils sont mis au jour – l’un rouge, l’autre blanc – et commencent un combat sans merci. Le Blanc symbolise les Saxons, que Vortigern a commis la faute d’accueillir en Grande-Bretagne ; le Rouge, les malheureux Bretons, dont le destin est d’être malmenés par les envahisseurs jusqu’à l’avènement du « sanglier gallois » (Arthur). La suite est étonnante sur le plan littéraire : Merlin se livre à une série de vaticinations qui couvrent six siècles, au plus grand mépris de son auditoire, qui devrait n’en avoir que faire ; c’est le moyen pour Geoffroi de diluer une prédiction désastreuse dans une masse d’autres prophéties plus joyeuses. Quoi qu’il en soit, le dragon a fait son entrée parmi le bestiaire prophétique qui ne va faire que proliférer et l’opposer ici au lion, là à l’ours, au sanglier, à la licorne, à l’aigle, etc.
Aux frontières entre messianisme et provocation apotropaïque, le choix du dragon en tant qu’emblème peut revêtir une signification politique. La ressemblance phonétique – « dragon », « d’Aragon » – en fait une figure parlante des armoiries de péninsule ibérique, aux infinies connotations. Pierre IV d’Aragon le prend pour mascotte en plaçant le saurien sur son heaume. Les mauvaises langues diront que le port de ce haut cimier compense un peu la petite taille du roi, né prématurément. Il est aussi un second visage, qui autorise la transgression, ludique ou diabolique. La dimension apocalyptique du dragon n’est pas pour déplaire à un héritier de la maison impériale des Hohenstaufen, que la papauté avait jadis condamnée comme famille de l’Antéchrist. Le dragon est conçu comme le pendant du lion, caractérisant la famille d’Anjou, rivale des Aragonais en Italie du Sud. Une confusion ultérieure due à une ressemblance du dragon miniature et de la chauve-souris va avoir raison du dragon, décidément trop sulfureux, alors que la chauve-souris, mangeuse de moustiques (= les musulmans, dans les prophéties) semble idéale pour accompagner les dernières décennies de la Reconquête de l’Espagne contre l’Islam.
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Message  Roland Brisemasse Mar 13 Jan - 2:53

III) Gros serpent ou mythe volant ?

A) Une affaire classée de la zoologie

Le Physiologus, rédigé par un auteur anonyme du IIe siècle, inspire comme nous l’avons vu les bestiaires médiévaux. Pour ces derniers, le dragon est à son tour assimilé à la luxure et à la lubricité. Mais les constats « scientifiques » ne s’arrêtent pas là. Déjà, Aristote et les Grecs, suivis des Romains, croyaient en l’existence du dragon et en décrivaient le mode de vie. Elien le Sophiste oppose l’aigle, roi des oiseaux, au dragon, roi des serpents. Pline dépeint des luttes à mort entre le dragon et l’éléphant, dont il voudrait se repaître du sang frais.
La forte composante symbolique du dragon, qui lui vaut une place de choix dans les bestiaires, ne l’exclut donc pas des encyclopédies, où il est traité comme un animal à part entière dans la section concernant les serpents. Le terme draco qualifie certainement, au départ, un boa ou un python, ou de manière générale un serpent géant. La plupart des auteurs médiévaux reprennent les chapitres de Pline ou d’Isidore de Séville, qui soulignaient la taille du dragon. Mais ils discutent sur la possession d’ailes. Un accord se dégage sur quelques principes : le dragon n’est pas venimeux ─ son danger vient de sa force et de la puissance de sa queue ; différentes parties de son corps ont des propriétés médicinales remarquables. Les nuances et les évolutions chronologiques dans l’interprétation ne sont pas sans intérêt.
A la fin du XIIe siècle, Alexandre Neckham explique que l’éléphante met bas dans l’eau, car le dragon espère manger son nouveau-né. Il livre une lecture morale : le dragon est le démon, dont l’homme se débarrasse par la grâce de l’eau du baptême, la froideur du sang de l’éléphant symbolisant la chasteté. On distingue chez Alexandre Neckham cette tendance à confondre les anecdotes et récits fabuleux avec les exempla des ouvrages spirituels. Un peu plus tard (vers 1228-1230), Thomas de Cantimpré mélange les sources « naturalistes » d’Aristote et de Pline avec les métaphores de la Bible et les commentaires des Pères de l’Eglise, qu’il présente sur le même plan. Dès les années 1230, Barthélemy l’Anglais rationalise les faits merveilleux. Isidore de Séville a écrit que le dragon n’a pas de venin, mais aussi que sa chair, sa langue et son fiel sont venimeux. Qu’à cela ne tienne, Barthélemy concilie les notations antagonistes : s’appuyant sur une remarque plus générale d’Aristote, il rend compte de cette toxicité par le régime alimentaire du dragon. Dans les années 1250, Vincent de Beauvais rassemble le plus d’informations possible, sans se soucier des contradictions ni des répétitions, mais en effectuant un classement, de nature à apporter rapidement au lecteur ce dont il a besoin. Albert le Grand, dominicain encore plus éminent, achève en quelque sorte le processus de démythification. Pour lui, seul le commentateur arabe (!) d’Aristote, Avicenne, est une source fiable sur le sujet, quand il établit que le dragon est un serpent non venimeux dont la blessure peut être dangereuse, et dont les plus grands habitent en Inde. Tout le reste relève du conte digne de peu de foi. Albert réfute la légende du dragon volant cracheur de feu. Il a recours pour cela à un passage des Météorologiques d’Aristote décrivant les boules de feu qui peuvent survenir dans le ciel et qui sont appelées … « dragons ». L’imagination populaire aurait donc brodé sur ce motif. On le constate, chaque encyclopédiste a son mode de pensée propre. Tous, cependant, soumettent à une sévère critique le dragon des mythes, qui est également celui de l’hagiographie, et affichent un souci de « vraisemblance » contre l’imagination poétique. Est-ce à dire que le monstre merveilleux est en voie de disparition ? Point du tout.
Les voyageurs revenus des confins font des crocodiles, gavials, lézards et autres reptiles curieux des dragons en puissance. Marco Polo en parle dans son Livre des Merveilles. Les découvertes d’ossements d’animaux, mal interprétées, corroborent les légendes. Au XVe siècle, dans les Alpes suisses (région de Lucerne), les rencontres avec les dragons sont nombreuses. En 1421, un dragon survole le mont Pilate et laisse échapper sa pierre précieuse, la draconite, recueillie par un fermier témoin (en réalité une pierre peinte, conservée aujourd’hui au musée d’histoire naturelle de Lucerne). Située traditionnellement dans le crâne du dragon, la draconite possède des vertus thérapeutiques, soignant les hémorragies et guérissant de la peste. Le dragon vivra au moins jusqu’au temps des dinosaures, au profit desquels il perdra sa place.

Je sais pas s'il y a une suite, mais s'il y a c'est pour bientôt !
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